« Nous ne sommes pas libres » : L’horreur des camps aux USA ☆☆☆☆☆

Salut à tous ! Je vous souhaite une excellente année, en espérant que les fêtes se soient bien déroulées de votre côté ! De mon côté, 2022 s’est terminée sur une lecture des plus poignantes dont je mourrais d’envie de vous parler. Bien évidemment, avant de vous la présenter, je tenais à faire des recherches approfondis sur la situation du récit. Vous commencez à me connaitre, j’aime quand il y a une part d’Histoire dans les romans mais j’aime encore plus découvrir le sujet en profondeur par la suite. Pour la préparation de cette article (mais également de la vidéo) presque trois semaines se sont écoulées. Je refusais d’aborder un sujet m’être renseignée au préalable, pour moi il est impossible de parler d’un thème sans avoir fait un minimum de recherches. La période de l’Histoire abordée ici m’était totalement inconnue, j’avoue que je n’en reviens pas… Aujourd’hui je vous présente « Nous ne sommes pas libres » de Traci Chee aux éditions Young Novel et traduit par Victoria Seigneur. Je remercie Netgalley et la maison d’édition de m’avoir fait confiance pour parler de ce roman, merci pour cette découverte qui m’a remué comme rarement je ne l’ai été.

Peu de temps après le bombardement de Pearl Harbor, quatorze adolescents vont rapidement voir leur vie changer à tout jamais. Le gouvernement américain prend la décision d’expulser de chez elles plus de cent-milles personnes nippo-américaines pour les envoyer dans des « camps d’incarcération ». Alors que la guerre fait rage et que le monde semble déterminé à les haïr, ces adolescents vont s’unir malgré le racisme et les injustices qui menacent de les séparer…

J’aime toujours commencer par la couverture parce que, pour moi, le visuel est toujours significatif de ce que tu trouveras à l’intérieur du récit si il est fait correctement. Ici, il y a énormément de symboles avec une représentation des personnages japonais juste parfaite. Seule une personne qui a lu le roman arriverait à sa voir que les personnages représentés sont (de gauche à droite) Hiromi, Minnow et Frankie. Le travail sur les expressions et les objets qu’ils possèdent est une manière assez significative de les représenter. Les valises représentent, bien évidemment, l’expulsion et le voyage en direction des camps. J’aime énormément le clin d’œil avec les origamis, un symbole assez fort qu’on peut même retrouver dans la vraie vie lors des visites du camp Tule Lake (je vous en parlerais plus en profondeur par la suite). Pour finir, et c’est probablement l’un des éléments qui m’a le plus intrigué, je suis très intriguée par cette représentation des personnages comme si ils se fondaient dans le mur. Je ne sais pas si c’est une manière de critiquer les fameuses affiches de l’époque ou alors si c’est un moyen de montrer qu’on demande aux personnages de se faire oublier et de se fondre dans la masse sans attirer l’attention.

Je ne sais pas vous mais personnellement je n’ai jamais entendu parler des camps d’internements des nippo-américains et je trouve ça scandaleux. Quand on pense à nos manuels d’Histoire et au fait qu’on passe presque 4 ans à parler de la Seconde Guerre Mondiale, il est complètement fou de se dire que ce sujet n’ai jamais été abordé. Alors je suis d’accord que, certes on ne peut pas parler de tout parce qu’il y a un programme à respecter mais je pense qu’il serait bien d’arrêter de dresser un portrait héroïque des américains pour commencer (bien que l’aide fournie fut précieuse). Il est quand même incroyable de se dire que les livres d’Histoire français ne traitent absolument pas du fait que le gouvernement américain à lui-même fait des camps sur ses terres par simple racisme suite à Pearl Harbor.

Je n’ai pas pu m’empêcher d’étendre mes recherches afin de découvrir ce qu’était devenu ces fameux camps d’internements. Je me suis penchée uniquement sur les camps cités dans le roman et, sans surprise, la majorité des lieux semblent avoir été détruit. Certaines villes ont mis quelques statues commémoratives ou ont ouvert des musées autour de cette période mais j’ai trouvé un camp qui semblait avoir conservé quelques ruines : Tule Lake. Un peu comme on peut nous-mêmes visiter Auswitch, les américains ont tenté de faire un lieu de mémoire avec les derniers bâtiments restants. J’ai aussi pu observer qu’ils organisent des sortes de séminaires/rencontres ce qui, je pense, est une bonne initiative. Un aspect qui est moins sympathique, tout comme pour Auswitch, sur certaines photos des événements nous pouvons trouver les merveilleux selfies instagrammables de certains visiteurs. Je me dois de rappeler que vous devez le respect dans des lieux comme ceux évoqués juste au-dessus, il n’y a rien de glorieux à poser de manière souriante « façon mannequin » dans un endroit qui a connu tant d’horreurs et de misères… Malheureusement certains commentaires sont aussi irrespectueux que ces photos, notamment certains vantant les mérites d’une buvette de qualité sur les ruines du camp… Si vous cherchez la majorité des camps cités dans le roman, la plupart sont revenus à l’état de désert mais si vous êtes curieux et que vous cherchez le camp d’internement Topaz sur Google Map je vous invite à différencier la vue de la route principale avec celle des petits points qui semblent au milieu du camp. La différence est frappante, même si il n’y a plus les bâtiments leurs fantômes sont bel et bien toujours présents.

Je ferme ma parenthèse historique même si je pense quand même évoquer avec vous d’autres phénomènes au cours de l’article (je vous conseille également de regarder la vidéo où vous pourrez observer quelques images de l’époque). Revenons à « Nous ne sommes pas libres » de Traci Chee ! J’ai été subjuguée par la plume de cette autrice, elle était poignante, cinglante et avait ce côté doux à la fois qui permet au lecteur de faire comme une sorte de pause afin de se remettre de ses émotions. Je peux vous dire que les larmes ont coulé de nombreuses fois mais il a presque été impossible de m’arrêter à la fin. L’autrice est ici pour broyer votre cœur et c’est fait avec une main de maître ! J’ai été ravie de terminer l’année 2022 sur une lecture de cette qualité ! D’ailleurs je ne comprends pas pourquoi je n’entends pas plus parler de ce roman qui, pour moi, rentre clairement sur le podium des meilleures sorties de l’année 2022 ! Evidemment les thèmes sont très durs mais abordés à la perfection par cette autrice de talent !

Je me suis posée la question de savoir pourquoi l’autrice avait choisi cette période historique précisément et c’est à la fin du roman que j’ai eu ma réponse : non seulement c’est l’histoire de sa communauté mais également de sa propre famille. Je ne vais, bien évidemment, pas vous raconter tout ce qu’elle explique parce que j’estime qu’il vaut mieux le lire de ces propres yeux. Ce travail réalisé s’est inspiré de sa famille et de son expérience dans les camps, elle explique même quelques clins d’œil qu’elle a pu faire à certains membres à travers ses personnages. Elle tient aussi à insérer des personnalités et des événements historiques qu’elle détaille plus longuement comme le fameux questionnaire de loyauté (un papier où les internés devaient répondre par oui ou non pour une allégeance totale aux USA durant la guerre), l’horreur de la guerre, l’expulsion forcée, l’empêchement à l’accès aux l’universités, etc. Je ne sais pas pourquoi mais un fait qu’elle a évoqué m’a frappé : la pancarte « je suis américain ». J’imagine le désespoir et la détresse de ces personnes qui ont tout tenté pour montrer qu’ils étaient comme les autres… L’autrice donne une liste de livres complémentaires afin d’étendre les recherches des plus curieux sur le sujet.

Nous sommes bien évidemment face à une histoire des plus violentes psychologiquement et physiquement, je tenais à vous avertir que certains passages peuvent heurter la sensibilité. J’y vois quand même pas mal de similitudes « esthétiques » avec les camps allemands de la Seconde Guerre Mondiale, peut être parce que se sont les seuls dont j’avais entendu parler jusqu’ici. Bien sûr on est face ici à des camps d’internements et non d’exterminations ou de concentrations, il est important de souligner cela. Dans les camps cités il y avait des endroits où faire du sport, il y avait aussi l’école, une bibliothèque, un réfectoire mais cela n’empêche qu’on les parquait comme des animaux, l’hygiène n’était pas toujours au rendez-vous et les traitements subis étaient violents. J’ai d’ailleurs observé que la manière de traiter les personnes internées variaient selon le questionnaire de loyauté. Pour rappel : environs 120 000 ressortissant japonais et américains d’origine japonaise ont été déportés et incarcérés dans ces camps. Ce n’est qu’en 1988 que les interné(e)s nippo-américain(e)s auront « réparation » de la part du gouvernement même si, à mon sens, rien ne pourra réparer ce qu’ils ont vécus.

On ne peine absolument pas à se représenter la vie dans les camps ni même les personnages. Je ne sais pas comment expliquer mais on ne peut s’empêcher de s’attacher à tous, on a presque l’impression de faire partie de cette bande de San Francisco. Il y a forcément des personnages qu’on aime lus que d’autres mais on comprend chaque manière de penser. Certaines personnes tentent de trouver le positif pour tenir, d’autres explosent face à la situation, d’autres sont juste résignés mais chacun forme une pierre nécessaire au maintien de cette amitié. Je pense que mon préféré chez les garçons aura été Minnow (14 ans), j’ai ressenti immédiatement une connexion avec lui et son côté artiste. Il a cette douceur et cette sensibilité qui fait de lui un personnage attachant. J’ai eu également beaucoup de respect pour son frère Mas mais je me dis que c’est probablement parce que tout le monde le voyait comme le leader. Chez les filles j’ai totalement adoré Aïko (14 ans), elle a cette détermination et ce feu en elle qui fait que c’est un personnage qu’on adore suivre. D’ailleurs sachez qu’on suit les quatorze personnages au cours du récit, quelque soit l’endroit où il se trouve ! J’avais peur de me perdre avec autant de points de vue mais j’ai seulement peiné pour les liens familiaux, surtout en ce qui concerne les plus petits. C’est un jeu qui aurait pu être complexe pour l’autrice mais il y a comme cette nécessité de devoir raconter l’histoire de chacun car chaque personne vit les moments différemment des autres et possède sa propre manière de penser.

Dans tous les malheurs Traci Chee parvient toujours à apporter quelques rayons de soleil pour vous consoler mais, je pense que vous comme moi ne sommes pas dupes, on sait pertinemment que tout ne peut pas se passer facilement… J’ai ressenti de la peine, de la haine (énormément), de la pression, j’ai eu de belles surprises comme des horribles mais au fond c’est ce qui fait que c’est un bon livre. Pour moi, être capable de faire passer du rire aux larmes avec une telle aisance est un talent que très peu de personnes possèdent. Cette lecture bouscule et vous fera découvrir cette période historique si méconnue mais pourtant si importante. J’espère que, comme moi, vous prendrez plaisir à découvrir nos quatorze protagonistes qui sont tous plus merveilleux les uns que les autres.

A l’occasion de cette lecture j’ai voulu poser deux-trois questions à Traci Chee sur son ouvrage « Nous ne sommes pas libres ». Elle a eu la gentillesse de prendre du temps pour y répondre malgré un emploi du temps extrêmement chargé, merci à elle !

L’internement nippo-américain est une partie de l’Histoire qui est méconnue en France. Qu’est ce que cela vous fait de vous dire que, grâce à votre roman, vous allez éduquer une partie des français ?

Je pense que l’une des choses les plus puissantes à propos des livres est qu’ils sont expansifs. Qu’ils soient de la fiction ou de la non-fiction, contemporains ou historiques, ils élargissent nos connaissances, notre imagination, notre empathie, notre sens de ce qu’est le monde et de qui est avec nous. Comme « Nous ne sommes pas libres » atteint de nouveaux lecteurs en France, j’espère qu’il sera tout aussi expansif. J’espère qu’il éclaire une partie de l’histoire qui est peu connue, même parmi de nombreux Américains. Et, en même temps, si cela rend le monde un peu plus grand, j’espère que cela nous rapproche tous un peu aussi.

Y a-t-il des passages qui vous ont touché plus particulièrement et personnellement dans votre récit ?

Bien que « Nous ne sommes pas libres » soit une œuvre de fiction, de nombreuses parties s’inspirent des expériences de ma propre famille pendant la Seconde Guerre mondiale, car cette histoire est leur histoire. En 1942, ma grand-mère avait 13 ans lorsqu’elle et sa famille ont été expulsées de leur appartement à San Francisco et envoyées vivre dans une écurie au centre de détention temporaire de Tanforan. Mon grand-père a terminé ses études secondaires derrière les clôtures en fil de fer barbelé du camp d’incarcération de Topaz, à plus de 600 miles (équivalent environs à 965 km) de chez lui. Bien que les personnages soient des inventions de ma propre imagination, j’ai essayé d’instiller une image centrale ou une anecdote familiale dans autant de ces histoires que possible. L’expérience de Shig de l’expulsion massive – regarder ses voisins faire la queue pour être expédiés, leurs valises s’empiler sur le trottoir – est inspirée par une photo de mon grand-père faisant exactement la même chose. La confrontation de Yuki chez le glacier – lorsque l’homme derrière le comptoir lui crie des insultes raciales – est quelque chose qui est arrivé à mon grand-oncle quand il avait huit ans. Même le titre est inspiré d’une histoire que ma grand-tante m’a racontée, quand elle, comme Yum-yum, s’était fait dire à plusieurs reprises à quel point elle avait de la chance d’être une citoyenne américaine libre pour être enfermée des mois plus tard derrière les clôtures de Tanforan sans inculpation ou procès.

J’ai remarqué que les adultes étaient présents dans le livre mais qu’on voyait toujours l’histoire du point de vue des jeunes, pourquoi ce choix ?

Écrire sur les adolescents américains d’origine japonaise pendant l’incarcération était un merveilleux moment de sérendipité (syn. heureux hasard). J’étais déjà un écrivain YA quand j’ai commencé à interviewer les membres de ma famille sur leurs expériences pendant la Seconde Guerre mondiale, et quand j’ai réalisé qu’ils étaient eux-mêmes jeunes à l’époque, j’ai eu l’impression qu’écrire sur des personnages de leur âge était un choix qui avait déjà été fait pour moi. Je pense que beaucoup de jeunes, de temps en temps, ont tendance à se débattre avec des questions d’identité, d’appartenance, le contraste entre le monde dans lequel ils ont grandi et le monde tel qu’il est réellement, et quelle est leur place dans ce monde sera; et la superposition de ces questions dans une histoire sur l’incarcération des Américains d’origine japonaise était une opportunité très riche d’explorer ces idées d’une manière qui reflète à la fois notre passé et notre présent.

Cette interview sonne la fin de cet article ! Merci encore une fois à l’autrice pour sa gentillesse et sa disponibilité ! Je vous conseille fortement de vous produire cette merveille qu’est « Nous ne sommes pas libres », déjà parce que c’est une histoire qui déborde d’émotions mais également pour vous éduquer sur la situation des nippo-américains aux USA durant la Seconde Guerre Mondiale. Cette partie de l’Histoire ne devrait pas tomber dans l’oubli et, comme Traci Chee, j’espère que son récit va se répandre en France et ailleurs !


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